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04/04/2014 | FRANCE | N°2014-374

France | France, Conseil constitutionnel, 04 avril 2014, 2014-374


Le Conseil constitutionnel a été saisi le 8 janvier 2014 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 233 du 8 janvier 2014), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Sephora, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 3132-24 du code du travail.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code du travail ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie de...

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 8 janvier 2014 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 233 du 8 janvier 2014), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Sephora, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 3132-24 du code du travail.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code du travail ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations en intervention produites pour la société Castorama France par la SELARL Cabinet Renaudier, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 30 janvier 2014 ;

Vu les observations produites pour la Fédération des employés et cadres de la CGT force ouvrière, le Syndicat des employés du commerce Île-de-France-UNSA, l'Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de Paris, le Syndicat CGT-Force ouvrière des employés et cadres du commerce de Paris, le Syndicat Sud commerces et services Île-de-France et le Syndicat commerce interdépartemental d'Île-de-France CFDT, parties en défense, par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 30 janvier et 14 février 2014 ;

Vu les observations produites pour la société requérante par la SCP Célice - Blancpain - Soltner, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et le cabinet Jeantet Associés, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 31 janvier et 17 février2014 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 31 janvier 2014 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Jean Néret, avocat au barreau de Paris, pour la société requérante, Me Cédric Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties en défense, Me Richard Renaudier, avocat au barreau de Paris, pour la société Castorama France, partie intervenante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 4 mars 2014 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les articles L. 3132-20 et L. 3132-23 du code du travail sont relatifs aux conditions dans lesquelles le préfet peut autoriser une dérogation au repos dominical ; qu'aux termes de l'article L. 3132-24 du code du travail : « Les recours présentés contre les décisions prévues aux articles L. 3132-20 et L. 3132-23 ont un effet suspensif » ;

2. Considérant que, selon la société requérante, les dispositions de l'article L. 3132-24 du code du travail méconnaissent la liberté du travail, la liberté d'entreprendre, l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, la sécurité juridique et le principe de légalité des délits et des peines ; qu'elle soutient également qu'en privant pour une durée indéterminée l'employeur du bénéfice de l'autorisation de permettre aux salariés volontaires de travailler le dimanche sans qu'aucun juge ne puisse porter une appréciation sur le caractère excessif ou non de l'atteinte portée à ses droits dans un délai raisonnable, les dispositions contestées méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif, les droits de la défense, le droit au procès équitable ainsi que le principe d'égalité devant la loi ; que la société intervenante soutient que les dispositions contestées méconnaissent l'exigence de sécurité juridique ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3132-20 du code du travail : « Lorsqu'il est établi que le repos simultané, le dimanche, de tous les salariés d'un établissement serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal de cet établissement, le repos peut être autorisé par le préfet, soit toute l'année, soit à certaines époques de l'année seulement suivant l'une des modalités suivantes :

« 1° Un autre jour que le dimanche à tous les salariés de l'établissement ;

« 2° Du dimanche midi au lundi midi ;

« 3° Le dimanche après-midi avec un repos compensateur d'une journée par roulement et par quinzaine ;

« 4° Par roulement à tout ou partie des salariés » ;

5. Considérant que, selon le premier alinéa de l'article L. 3132-23 du même code, « l'autorisation accordée à un établissement par le préfet peut être étendue à plusieurs ou à la totalité des établissements de la même localité exerçant la même activité, s'adressant à la même clientèle, une fraction d'établissement ne pouvant, en aucun cas, être assimilée à un établissement » ; que le second alinéa du même article dispose que « ces autorisations d'extension sont toutes retirées lorsque, dans la localité, la majorité des établissements intéressés le demande » ; qu'en vertu du premier alinéa de l'article L. 3132-25-4 du même code, ces autorisations de travailler le dimanche « sont accordées pour une durée limitée » ; que le deuxième alinéa de ce même article dispose : « Seuls les salariés volontaires ayant donné leur accord par écrit à leur employeur peuvent travailler le dimanche sur le fondement d'une telle autorisation. Une entreprise bénéficiaire d'une telle autorisation ne peut prendre en considération le refus d'une personne de travailler le dimanche pour refuser de l'embaucher. Le salarié d'une entreprise bénéficiaire d'une telle autorisation qui refuse de travailler le dimanche ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail. Le refus de travailler le dimanche pour un salarié d'une entreprise bénéficiaire d'une telle autorisation ne constitue pas une faute ou un motif de licenciement » ;

6. Considérant que le législateur a estimé que, si le repos simultané le dimanche de tous les salariés d'un établissement était préjudiciable au public ou compromettait le fonctionnement normal de cet établissement, le préfet pouvait autoriser des dérogations temporaires au repos dominical selon des modalités limitativement énumérées ; qu'il résulte toutefois des dispositions contestées que tout recours formé contre un arrêté préfectoral autorisant une dérogation au repos dominical suspend de plein droit les effets de cette décision dès son dépôt par le requérant au greffe de la juridiction administrative ; que cette suspension se prolonge jusqu'à la décision de la juridiction administrative compétente alors que la dérogation est accordée pour une durée limitée ; que l'employeur ne dispose d'aucune voie de recours pour s'opposer à cet effet suspensif ; qu'aucune disposition législative ne garantit que la juridiction saisie statue dans un délai qui ne prive pas de tout effet utile l'autorisation accordée par le préfet ; que, compte tenu tant de l'effet et de la durée de la suspension que du caractère temporaire de l'autorisation accordée, les dispositions contestées méconnaissent les exigences constitutionnelles précitées ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, l'article L. 3132-24 du code du travail doit être déclaré contraire à la Constitution ;

8. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article L. 3132-24 du code du travail prend effet à compter de la date de la publication de la présente décision ; qu'elle est applicable aux affaires nouvelles ainsi qu'aux affaires non jugées définitivement à la date de publication de la décision du Conseil constitutionnel,

D É C I D E :

Article 1er.- L'article L. 3132-24 du code du travail est contraire à la Constitution.

Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées au considérant 8.

Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 avril 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.

Rendu public le 4 avril 2014.


Synthèse
Numéro de décision : 2014-374
Date de la décision : 04/04/2014
Société Sephora [Recours suspensif contre les dérogations préfectorales au repos dominical]
Sens de l'arrêt : Non conformité totale
Type d'affaire : Question prioritaire de constitutionnalité

Références :

QPC du 04 avril 2014 sur le site internet du Conseil constitutionnel
QPC du 04 avril 2014 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Disposition législative (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2014-374 QPC du 04 avril 2014
Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2014:2014.374.QPC
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